Nos pères, ces héros
La salle était comble. Mon public m'attendait.
Je pénétrais sur scène sous une pluie d'applaudissement qui me réchauffait le cœur, et m'encourageait à donner le meilleur de moi-même pour proposer un spectacle de qualité qui le subjugueraient tous. J'affichais un grand sourire enjoué avant de me présenter à l'assistance. « Bonsoir mesdemoiselles, mesdames et messieurs ! Je suis Anya Vlasta Kovrov, et ce soir je vais vous présenter un numéro inédit qui vous fera ouvrir grand vos yeux. » Mon cœur battait la chamade devant toutes ces personnes assisses pendant leur diner-spectacle. Depuis la votation de la Loi Turenne où tous les méta-humains devaient se recenser, une sorte de paranoïa m'avait gagné. J'avais peur que mes tours de prestidigitation soient considérés comme un exercice de pouvoir de méta-humain et non comme l'art de l'illusionnisme. Allez Anya, chasse cette idée de ta tête, ce public pense avoir affaire à une magicienne et non à une méta-humaine ! J'occupais toute la scène de son espace, en effectuant quelques petits tours basiques comme faire apparaître un lapin de mon chapeau pour ensuite le faire disparaître, ou encore transformer un jeu de cartes standard en jeu de cartes où il n'y avait que des carreaux, tous fonctionnaient à merveille en attendant le tour magistral de cette soirée.
Mais avant de commencer, il me fallait une ou un assistant. J'annonçais de vive voix que j'aurai besoin de quelqu'un dans la salle. Beaucoup d'hommes se proposèrent de m'aider dans la réalisation de mon tour, ma tenue de scène étant quelque peu légère, la gent masculine répondait toujours présente quand je demandais un volontaire. Évidemment ce choix d'accoutrement n'avait pas pour but d'aguicher les hommes loin de là, mais d'obliger les mâles à se focaliser sur mes jambes ou mon buste et non sur mes mains lors de mes tours. Et puis la gent féminine dans tout cela ? Je comptais plus sur la jalousie de ces dames plutôt qu'elles ne prêtent réellement attention à mes manipulations de prestidigitatrice.
Finalement, mon choix de volontaire ne se portait pas sur un client du soir, mais sur une serveuse. La choisir était risquée dans la mesure où l'on pouvait imaginer une connivence préétablie avant le spectacle, mais je m'en moquais. Son regard m'avait attiré inexorablement. Je pointais donc ma baguette dans sa direction et d'une voix puissante, je l'appelais à monter sur scène avec moi. « Mademoiselle, auriez-vous l'extrême amabilité de venir me rejoindre et de m'assister ce soir ? Je demande un tonnerre d'applaudissement pour cette belle et jolie jeune femme ! » Les gens frappèrent dans leurs mains, même si certains étaient réticents à le faire. Il y'en avait toujours dans l'assistance.
Avant de commencer quoique ce soit, je lui demandais son prénom. Une fois cette information en poche, je lui expliquais son rôle, cette dernière n'avait pas à s'inquiéter, car il était très simple. La serveuse n'avait que deux choses à faire, fermer la malle dans laquelle je me trouverai avec le cadenas et d'avoir un grand sourire. Un tour de magie sans sourire, c'était comme un Sunday sans la cerise sur le dessus. Maintenant, qu'elle savait tout, l'illusion pouvait commencer. Je rentrais donc dans la splendide malle rouge et or avec mon nom gravé dessus qui trônait au centre de la scène, le tout dans une chorégraphie élégante et raffinée. Une fois en position, je faisais signe à la jeune femme qu'elle pouvait refermer la malle avec moi dedans. La magie pouvait opérer. « Bien, très chère pouvez-vous frapper trois fois avec votre paume sur le O de Kovrov ? » Disais-je au fond de ma boite. Un coup, deux coups, trois coups et la malle se déplia en six, et cette dernière était vide ! L'assistance restait scotcher, le public se demandait où j'avais bien pu passer. « Mesdemoiselles, mesdames et messieurs je vous demande une nouvelle salve d'applaudissement pour notre charmante serveuse ici présente ! » Je me tenais fier comme un paon au milieu de deux tables du fond de la salle du cabaret. Tout le monde se retournaient et me voyaient. Le public était comblé.
Avec un grand sourire, je retournais sur scène rejoindre mon assistante du jour pour ensuite la prendre dans mes bras en guise de remerciement. Le spectacle était terminé, la serveuse pouvait reprendre ses occupations de serveuse, quant à moi je devais libérer l'espace pour un nouveau spectacle, car le diner n'était pas encore terminé. Je quittais la scène sous de nouveaux applaudissements.
En coulisse, je demandais à ce que l'on charge mes accessoires dans ma camionnette de fonction. Néanmoins, je ne comptais pas quitter le cabaret tout de suite. Je demandais au patron du lieu qui venait me féliciter à quelle heure finissait la jeune serveuse qui m'avait servi d'assistante pour le final. L'homme était surpris de ma demande, mais il m'annonçait que son service prenait fin dans une heure. Très bien, je décidais donc d'attendre une heure dans la petite pièce que l'on m'avait allouée avant ma représentation pour attendre la jeune femme.
L'heure s'écoulait, il était temps de retrouver la brunette. Tel un chat silencieux dans la nuit, je me faufilais dans le cabaret pour me tenir derrière la jeune femme. « Bonsoir, pardonne-moi d'être aussi direct, mais accepterais-tu de boire un petit verre avec moi pour te remercier de ta collaboration de tout à l'heure ? » Étais-je en train de la draguer ? Je ne savais pas trop, en fait je ne savais pas pourquoi je voulais la revoir. Son regard m'intriguait toujours autant.