- Toooout va bien se passer, c’est rien, juste une aprèm de détente, dehors, avec une autre personne, que tu connais pas vraiment… Raaaah pourquoi j’ai fais çaaaaaa ?
Pardonnez la minute gémissement et apitoiement personnel, mais il est vrai que j’avais pas trop l’habitude des sorties supposées inclure au moins une autre personne, et encore moins si cette autre personne était une… Amie ? Je supposais en tout cas, espérais surtout. A ce moment là c’est vrai que c’était plus ou moins flou. Disons amie virtuelle. Basiquement la seule personne de LibertyTown avec laquelle j’étais en contact de manière réelle, plus personnelle et prolongée qu’avec le livreur de ma pizzeria, c’était Derek. Et il comptait pas, je le connaissais depuis trop longtemps, à ce niveau on avait dépassés l’amitié et on était simplement coincés l’un avec l’autre et obligés de se supporter à jamais.
Ce qui me ramène à ma potentielle nouvelle amie. Evie et moi on s’était rencontrée sur le net et s’était mises à devenir en contact et discuter ensembles assez rapidement. Et quand les questions personnelles ont commencées à arriver dans la conversation, nous nous sommes rendu compte qu’on habitait la même ville. Que de coïncidences, comme le monde était petit, il fallait absolument qu’on se voit ! Ha, haha, hahahaha…
Attention, pas de méprises. Eveleen est adorable et j’étais contente d’avoir l’opportunité de me faire une amie. Mais l’absence usuelle de contacts, l’inexpérience qui y est associée, et donc le stress absolu qui découlait de la 1ere rencontre me mettait l’estomac à l’envers. Puis c’est vrai qu’être une exilée en fuite sous un faux nom qui travaille de manière illégale voir criminelle sur internet, ça n’aide pas trop à appréhender un rendez-vous personnel calmement. A part les jeux vidéo, les meilleurs endroits pour commander à manger et la cybersécurité je n’imaginais pas vraiment de domaines dans lesquels je pouvais me targuer d’avoir une bonne conversation.
Néanmoins j’avais bien conscience d’avoir besoin de ça, une sorte de bouée de sauvetage qui me liait au vrai monde de la réalité véritable. Aux êtres humains normaux, avec des jobs normaux et des vraies occupations d’adultes fonctionnels et responsables. Des gens totalement différents de moi, ou de Derek. De plus pouvoir annoncer avec triomphe à mon Terminator de compagnie, que MOI j’avais une vraie amie malgré mon « comportement asocial » putatif. Et que je m’occupais et sortais comme une personne lambda, pouvoir lui enfoncer le nez dedans et lui rappeler chaque jour que même sur ce sujet je le battais. Ca valait toutes les journées shopping du monde.
Un coup d’œil à mon téléphone me fit découvrir que si je continuais à me lamenter sur mon sort dans ma salle de bain, je risquais d’être en retard malgré avoir prévu un beau temps d’avance pour me préparer, et réservé plus de temps que prévu pour le trajet. Un dernier glapissement d’affolement et je me ruais hors de chez moi, prenant ma veste, mes clefs et mon téléphone, et me dépêchais de quitter mon immeuble pour trotter en direction d’Epsilon. Prête pour une après midi à explorer le quartier, et probablement à poculer un peu.
Parcourant les rues de LibertyTown, mon portable à la main, regardant une carte de la ville pour me situer. Je remerciais une nouvelle fois le ciel pour le fait qu’on s’était mis d’accord sur un lieu connu et parfaitement accessible dans la ville, et pas une adresse nébuleuse d’un petit bar super stylé perdu dans un quelconque quartier. Parce que je me serais très certainement perdue en chemin… Mon sens de l’orientation est légendairement dégueulasse, et malheureusement je suis très loin de l’euphémisme. Même maintenant, en sachant où était la Place Europe et en ayant une carte sur mon téléphone, j’avais quand même les yeux sur mon écran toutes les 3 secondes car j’étais pas du tout sûre d’y arriver sans problèmes. Raison pour laquelle j’avais prévu au moins une demi heure d’avance sur le trajet, pour pallier à une éventuelle erreur de tournant qui risquerais surement d’arriver.
Miraculeusement le trajet s’était passé sans encombre. Et j’étais donc arrivée avec un peu d’avance sur le programme, ce qui m’autorisa à ralentir la marche une fois la Place atteinte. Comme la dernière fois que j’y étais, c’était un joyeux bordel. Des bars et des restaurants pratiquement tous cote à cote, avec juste de très rares espaces pour des entrées d’appartement, et bien sûr les occasionnelles boutiques qui n’avaient rien à voir avec la nourriture. Il suffisait de combiner à cela les vendeurs de street food, puis tous les clients, en terrasse ou dans la rue, qui discutaient en plusieurs langues différentes, illustrant le nom et la volonté de la Place Europe. C’était très impressionnant, c’était attrayant mais c’était surtout sacrément déstabilisant pour une casanière dans mon genre.
M’autoriser à ralentir le pas m’as aussi entrainée dans un de mes grand vice : se laisser lentement tenter par le lèche vitrine. Je m’étais déjà arrêtée devant deux boutiques avant de me reprendre et de me forcer à me rappeler que j’étais attendue à un rendez-vous et que je n’étais pas en train de me balader seule. Néanmoins, une perspective d’achat bien particulière me fit m’arrêter et tourner les talons pour me diriger vers le camion vendant des snacks à la sauvette dans la rue.
- Bonjour, vous faites vraiment des bananes flambées à emporter ?
Le jeune vendeur me fit un grand sourire et hocha la tête vigoureusement avant de tenter de confirmer dans un anglais bancal au possible. Je lui fis donc le signe de la victoire et lui en demanda deux. Une douceur sucrée me ferait beaucoup de bien avant d’aborder cette rencontre, et puis le coté placebo d’avoir cette petite dose d’alcool dans mon organisme ne pouvait me faire que du bien également, malgré mon régime abstème. Je payais donc mon encas, et celui destiné à celle qui partagerais ma journée, réalisant soudainement que le seul truc qui pouvait noircir le tableau était le fait qu’Eve n’aimait peut être pas les bananes flambées.
J’atteignais donc le grand café au milieu de la Place qui nous servais de point de rendez vous. Une boite avec un logo de nourriture à emporter dans la paume de la main, et une seconde, ouverte, au dessus de la première, dans laquelle je piochais allégrement des morceaux de banane avec ma petite fourchette en plastique. Un long coup d’œil et un tour sur moi-même me permirent de me rendre compte que je ne distinguais pas encore Evie autour de moi. Je regardais rapidement mon téléphone pour me rendre compte que j’avais encore un tout petit peu d’avance. Elle ne devrait pas tarder.